- Nous habitons la maison où logeait autrefois le célèbre Petit Chaperon Rouge, qui fut mangé par le loup.
Etrange coïncidence : notre ravissante petite fille porte avec tant de grâce un petit chapeau vert qu'on l'appellepartout : le Petit Chaperon Vert.
Coïncidence plus extraordinaire encore : la mère-grand de notre petite fille demeure au village voisin, comme jadis celle du Petit Chaperon Rouge, et pour aller chez elle, il faut traverser la forêt prochaine.
Ne dit-on pas aussi que le fameux loup qui dévora le Petit Chaperon Rouge et sa grand-mère rôde toujours dans la forêt ?
Oui, toutes ces coïncidences sont particulièrement troublantes. D'autant plus troublantes qu'aujourd'hui même j'ai fait cuire des galettes et...
- pâlissant Des galettes ! C'est affreux ! Ah ! Je devine la suite ! Tu vas envoyer notre fille le Petit Chaperon Vert porter à sa mère-grand une galette ?
- Oui, une galette et un petit pot de beurre.
- Un petit pot de beurre ! C'est horrible ! Ce sont là d'extraordinaires et tragiques coïncidences ! Mais, chut ! voici le Petit Chaperon Vert qui revient de l'école.
- Va voir comment se porte ta mère-grand. Porte-lui cette galette et ce petit pot de beurre.
- Joyeusement Tiens, comme le Petit Chaperon Rouge !
- avec anxiété Comme le Petit Chaperon Rouge ! Oh ! mon coeur est rempli de sombrespressentiments. Dois-je la laisser partir ?
- Ne craignez rien, chers parents. Le Petit Chaperon Vert est plus rusé que le Petit Chaperon Rouge. Si, par hasard, je trouve le loup dans le lit de mère-grand, il ne pourra pas me dévorer. J'ai une idée.
(Elle part.)
DEUXIEME ACTE
La ruse du Petit Chaperon Vert.
La scène représente l'intérieur de la maison de la mère-grand.
- couché dans le lit Dès que j'ai aperçu le Petit Chaperon Vert se diriger vers la maison de sa mère grand,
j'ai opéré de la même manière qu'autrefois pour le Petit Chaperon Rouge. Je suis arrivé le premier chez la mère-grand. J'ai dévoré rapidement cette vieille dame, j'ai pris sa place dans le lit et j'attends le Petit Chaperon Vert. Elle ne va pas tarder à heurter à la porte.
- frappant à la porte C'est votre petite-fille le Petit Chaperon Vert qui vous apporte une galette et un petitpot de beurre.
- Adoucissant sa voix Tirez la chevillette et la bobinette cherra. (Le Petit Chaperon Vert entre.)
Mets la galette et le petit pot de beurre sur la huche, et viens te coucher auprès de moi.
- à part Ciel ! C'est le loup ! Je reconnais la même phrase qu'il prononça jadis pour attirer lePetit Chaperon Rouge dans le lit. Le misérable est en train de digérer mère-grand,mais, grâce à mon idée, il lui sera impossible de me dévorer.
- Eh bien, viens-tu te coucher, mon enfant ?
se couchant près du loup. Me voilà ! Oh ! mère-grand, que vous avez de grands bras ?
- C'est pour mieux t'embrasser, mon enfant.
- Mère-grand, que vous avez de grandes jambes !
- C'est pour mieux courir, mon enfant.
- Mère-grand, que vous avez de grandes oreilles !
- C'est pour mieux t'écouter, mon enfant.
- Mère-grand, que vous avez de grands yeux !
- C'est pour mieux te voir, mon enfant ! (A part.) Apprêtons-nous !
- Mère-grand, que vous avez de grands bras !
- interloqué Mais tu l'as déjà dit, mon enfant.
- continuant Mère-grand, que vous avez de grandes jambes !
- Mais tu répètes toujours la même chose ! Voyons, il y a autre chose à demander, par exemple (insinuant) : « Mère-grand, que vous avez de grandes... »
- … de grandes oreilles !
- Mais non, de grandes... de grandes... (Très insinuant)… ça commence par un d.
- ... de grandes jambes!
- sautant du lit Enfer et damnation ! ! ! Ce Petit Chaperon Vert se joue de moi ! Cette rusée petitefille s'obstine à ne pas dire : « Mère-grand, que vous avez de grandes dents ! »
Alors,naturellement, je ne peux pas sauter sur elle et lui répondre : « C'est pour temanger ! » (Avec un soupir de regret.) Ah ! où sont les enfants naïfs et faciles àdévorer d'autrefois ? (Il sort, furieux.)
RIDEAU
Adaptation de « Le Petit Chaperon Vert », dans L'Homme à la tête d'épingle,